Êtes-vous tong ou espadrille ?

Source : S. Le Fol, Le Figaro

DUELS AU SOLEIL – Les deux chaussures stars de l’été se croisent  sans se rencontrer.  Elles symbolisent deux univers très opposés.

 

Tong ou Espadrille 1

L’été est une affaire de pieds. Les exposer ou non? That’s the question. Le débat entre les adeptes de la tong et ceux de l’espadrille se situe à ce niveau-là. Interrogation terre à terre? Au contraire, comme nous l’apprend la médecine chinoise, tout part des pieds.

Le porteur de tong (de gougoune au Québec, de slash en Belgique) aime les aérer, les exposer. Pour des raisons autant hygiéniques que philosophiques. L’orteil offert au soleil et à la poussière symboliserait la liberté de pensée et le refus des convenances. Il traduit aussi un rapport spécifique à la nature. Le «tongiste», que l’on imagine dévorer les romans de Le Clézio et se repasser en boucle le film de Sean Penn In the Wild, recherche le contact avec les éléments et vante la résistance tout-terrain et tout climat de ses chaussures. Tandis que le champ d’exploration de «l’espadrilliste» est plus limité. Une averse ou une vague intrusive sur la plage le contraignent à ôter les siennes.

Tong ou Espadrille 3 Le «tongiste» adhère plutôt à la nouvelle mode de la transparence. Il n’a rien à cacher. Et en attend autant des autres. Plus proche du cardinal de Retz, l’adepte de l’espadrille pense que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment».

Question de principe aussi. Pour «l’espadrilliste», même par fortes chaleurs, on doit respecter une certaine tenue. La décontraction s’arrête là où commence l’intimité. Le morceau de toile fait toute la différence. Quel que ce soit son coloris, il fait office d’étendard pudique. Même si certains membres de la tribu espadrille n’hésitent pas en s’en défaire parfois pour laisser respirer leurs talons. Une faute de goût impardonnable, selon les puristes.

Aux yeux de «l’espadrilliste» sourcilleux, la tong incarne le négligé et le je-m’en-foutisme. Et l’horreur absolue quand elle franchit le seuil de son bureau. Il fustige notamment le bruit produit par les tongs. Ce «schlik schlack» désinvolte et désobligeant. Alors que lui glisse sur le sol tel un lézard serein.

Hypocrisie! S’insurge le «tongiste», qui revendique une tradition plus que millénaire. La tong ne remonte-t-elle pas à l’Égypte ancienne? Alors que l’espadrille date d’hier (1890)… N’était-elle pas portée par les impératrices romaines? Alors que sa cadette est née aux pieds de paysans pyrénéens.

Le «tongiste» voit dans l’espadrille le cheval de Troie de l’autoritarisme et de l’ordre moral. Dans l’Espagne franquiste, un décret royal n’en a-t-il pas imposé le port à l’infanterie? Pour se défendre, l’espadrilliste invoque ses icônes impertinentes ou excentriques, Salvador Dali, Jackie Onassis et Gaston Lagaffe en tête, qui ne passent pas pour des béni-oui-oui.

L’espadrilliste aurait de quoi se vanter: sa chaussure fétiche est travaillée par les plus grands chausseurs tandis que la tong a du mal à sortir des échoppes du bord de mer. Craignant la banalisation, le tongiste va désormais chercher son salut chez les fabricants brésiliens. Ne lui dites plus qu’il porte des tongs, mais des havaianas.

Le tongiste et l’espadrilliste ont néanmoins un point en commun: la faible espérance de vie de leur chausse estivale. Mais l’espadrille s’effiloche tandis que la tong succombe brutalement. Ce qui induit un rapport différent au temps selon que l’on porte l’une ou l’autre. D’un côté, «laisser le temps au temps»; de l’autre «ce qui est pris n’est plus à prendre». Autant dire que l’on ne passe pas de l’une à l’autre impunément.

Tong ou Espadrille 2

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